(1/2) Etat des lieux : l’incinération des déchets ménagers sur la Métropole de Lyon

L’UTVE de Gerland (c) L

[Ceci est le premier article concernant l’incinération à Lyon, la suite se trouve ici]
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Vous êtes déjà peut-être passés devant les incinérateurs sans même vous en rendre compte. C’est dans ces « Unités de Traitement et de Valorisation Energétique » (UTVE) que vos poubelles partent en fumées, et alimentent les réseaux de chaleur. La Métropole de Lyon en possède deux. Le premier se trouve dans le quartier de Gerland tandis que l’autre se situe sur la commune de Rillieux-la-Pape. A eux deux, ils disposent d’une capacité de traitement annuelle de 430 000 tonnes par an.

 
L’UTVE de Rillieux La Pape (c) Valorly

Construits il y a trente ans, la question du renouvellement de ces deux incinérateurs se pose avec le renouvellement de leur exploitation programmé en 2024. C’est donc maintenant qu’il faut se mobiliser pour trouver des solutions alternatives aux millions d’euros que nécessitent les travaux de remise à niveau ou de nouvelles constructions. Mais avant, Zéro Déchet Lyon vous explique comment fonctionnent ces incinérateurs et quels sont les enjeux associés à ces incinérateurs.

Carte d’identité des deux incinérateurs de la Métropole de Lyon

Les deux incinérateurs de la Métropole ont été mis en service en 1990 sous la décision de Michel Noire, maire de Lyon de 1989 à 1995. Toutefois, on peut dire qu’une tradition de l’incinération existe à Lyon, puisque le premier incinérateur remonte aux années 1930, déjà à Gerland.

Ces deux sites industriels sont gérés différemment par la Métropole. En effet, l’incinérateur de Gerland est géré en « régie » (directement par la Métropole et son personnel) tandis que celui de Rillieux-la-Pape est en « délégation de service public » (les locaux appartiennent à la Métropole mais l’exploitation est déléguée à un prestataire de services, à savoir SUEZ Environnement). Ce choix d’une gestion différenciée date aussi de l’époque de Michel Noir. Trois arguments sont sous-jacents à ce choix :

  • une sécurisation technique. En effet, si l’une des deux usines dysfonctionne, il est possible de délester dans l’autre, et ainsi d’éviter de dépendre d’autres installations en dehors du territoire ;
  • une sécurisation sociale. Si une grève éclatait à Gerland (service public), il était aussi possible de délester à Rillieux-la-Pape, identifié comme moins propice aux grèves car géré par le privé ;
  • une expérimentation financière. L’élu d’alors souhaitait comparer les dépenses et recettes d’une gestion privée et d’une gestion publique d’une structure au même objectif.

Pour rappel, environ 308 000 tonnes d’ordures ménagères ont été produites à Lyon en 2016. Les incinérateurs sont autorisés à eux deux à brûler jusqu’à 430 000 tonnes de déchets par an, soit bien plus. Le tableau suivant montre les capacités des incinérateurs ainsi que les tonnes brûlées :

  Gerland Rillieux La Pape Total
Capacité totale annuelle (en tonnes) 280 000 150 000 430 000
Nombre de lignes de fours 3 2 5
Tonnage incinéré en 2016 (en tonnes) 250 839 145 714 396 553

Tableau n°1 : Capacités de traitement et tonnages incinérés des deux incinérateurs de la Métropole, source : rapport Barnier 2016

Comme vous le voyez les incinérateurs ont brûlés autre chose que les ordures ménagères. Bien que conçus pour traiter les déchets des ménages, les incinérateurs brûlent des déchets d’origine diverses :

Tableau n°2 : Origine des déchets incinérés dans les deux UTVE de la Métropole de Lyon, source : Rapport Barnier 2016

Le tonnage de déchets incinéré augmente depuis 2014. Les ordures ménagères restent majoritaires (78% du tonnage incinéré en 2016) mais l’apport de collectes privées (déchets des entreprises) est en forte hausse depuis 2014. Pourquoi ? Cet apport de déchet permet de combler les « vides de fours ». Un vide de four est un four qui ne fonctionne pas à plein régime par manque d’apport en matière première. Ce phénomène est problématique puisqu’il engendre des impacts techniques de fonctionnement, mais aussi des conséquences économiques relatives aux pertes de rendement de l’installation. Notons aussi la part importante des « refus de tri ». Il s’agit de toutes les erreurs de tri des Lyonnais, qui, après avoir été écartées dans les centres de tri reprennent la route pour finir leur vie dans les incinérateurs.

Concernant le fonctionnement technique, les deux incinérateurs utilisent les mêmes technologies de traitement des déchets et d’épuration des fumées. Le schéma suivant détaille les différentes étapes de l’incinération des déchets, de leur arrivée dans la fosse jusqu’à la valorisation en chaleur (vapeur) et électricité :

Figure n°1 : Fonctionnement technique des UTVE de la Métropole de Lyon, source : Rapport d’exploitation Valorly 2016

Les choix techniques pris il y a trente ans pour construire ces incinérateurs l’ont été par rapport à la composition des ordures ménagères d’alors. Aujourd’hui, nos déchets ont beaucoup évolué, ce qui n’est pas sans poser des problèmes techniques, notamment sur le Pouvoir Calorifique Inférieur (PCI).

Le PCI définit la quantité de chaleur dégagée lors de la combustion d’une unité de masse (les déchets dans notre cas). Il y a trente ans les fours ont été dimensionnés pour un PCI maximum de 2 200 kWh/t. Depuis, la nature de nos déchets a évolué : le tri du verre, du carton et de certains plastiques se sont développés et ont enlevé ces déchets des incinérateurs. Aujourd’hui, les déchets dans l’incinérateur sont plus « secs » et ont un PCI plus élevé qu’auparavant. Les déchets brûlent « mieux » et ont un meilleur rendement énergétique qu’il y a trente ans. Cependant, les fours ne sont plus adaptés à une telle libération énergétique. Actuellement le PCI des déchets brûlés atteint les 2 200 kWh/t, soit le maximum. La présence des biodéchets (épluchures, restes alimentaires, …) aident à maintenir le PCI « le plus bas possible » car ils sont composés à environ 80% d’eau. Cette eau permet de stabiliser la température dans les fours d’incinération, et d’une certaine façon, de la maîtriser. Or si une forte politique de tri à la source des biodéchets était mise en place, comme l’oblige la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (TECV), des impacts techniques non négligeables seraient à constater sur les fours d’incinération. En effet, ceux-ci ne seront plus calibrés pour gérer une telle libération de chaleur. On comprend ainsi pourquoi la Métropole ne semble pas très encline à s’engager massivement dans une collecte séparative des biodéchets, ou à généraliser le compostage collectif.

Que deviennent les déchets incinérés ? Incinérer des déchets pour alimenter les réseaux de chaleur de la Métropole

Les réseaux de chaleur de Lyon-Villeurbanne et de Rillieux-la-Pape sont très liés au fonctionnement des incinérateurs et inversement, les incinérateurs sont très liés à ces réseaux de chaleur. Ces deux réseaux de chaleur sont alimentés respectivement à 61% et 77% par les UTVE ou plus précisément par l’eau chauffée par la combustion des déchets. Ce processus débute à partir du turboalternateur visible sur le schéma précédent. L’eau, présente dans les canalisations est chauffée à 80-100°C par la chaleur dégagée du turboalternateur pour ensuite être propulsée à environ 30 bars dans les réseaux de chaleur. Cette eau est ensuite utilisée par les abonnés qui consomment les calories de chaleur de cette eau. Une fois refroidie (par consommation de calories), l’eau retourne à l’unité de production de chaleur pour recommencer le processus. Nous distinguons donc trois acteurs dans ce système :

  • l’UTVE qui produit de la chaleur à partir des déchets ;
  • le fournisseur de chaleur, qui distribue la chaleur (Cofely et Dalkia pour les réseaux de Rillieux-la-Pape et Lyon-Villeurbanne) ;
  • et enfin les abonnés, qui consomment cette énergie.

L’argument de ce mode de production de chaleur est « d’éliminer » les déchets tout en produisant de la chaleur à moindre coût. Celle-ci provient de la combustion de déchets, matière qui qui ne coûte pratiquement rien. De ce fait, les abonnés à un réseau de chaleur desservi par un incinérateur bénéficient d’une énergie moins chère comme le montrent les tableaux suivants, en comparaison avec un réseau alimenté plus classiquement (R1 = Coûts variables (consommation) ; R2 = Coûts fixes) :

  Rillieux La Pape, alimenté à 77%  par UTVE Valorly Lyon-Villeurbanne, alimenté à 61% par UTVE Gerland Givors, 100% gaz
R1(€HT/MWh) 32.29 38.52 42.52
R2 (€HT/kW) 34.40 41.22 51.62

Tableau n°3 : Tarifications abonnés réseaux de chaleur selon approvisionnement, source : Fiches réseaux de chaleur ALEC Lyon

Nous observons ici un réel gain tarifaire (Rillieux-la-Pape 24% moins cher que Givors en consommation/MWh) pour de l’énergie provenant des incinérateurs. Les incinérateurs se retrouvent fortement corrélés aux besoins énergétiques du territoire, ce qui constitue un frein au développement de filières alternatives de gestion des déchets puisque nos déchets servent aussi à alimenter les réseaux de chaleur à moindre frais.

De plus, la Métropole mène une politique de développement des réseaux de chaleur. Dans son Plan Climat, il est prévu d’étendre les réseaux de chaleur, notamment celui de Rillieux-la-Pape, en interconnectant de nouvelles communes à celui-ci. L’argument phare pour ce développement est lié à l’alimentation de ce réseau par des énergies dites renouvelables, taxées à 5,5% au lieu de 20%. Le réseau de chaleur de Rillieux-la-Pape est alimenté à 61% par l’UTVE Valorly, dont l’énergie est considérée comme « renouvelable ».

Cette énergie « renouvelable » est caractérisée telle quelle par la Directive européenne 2001/77/CE relative aux énergies renouvelables, qui stipule que « 50% de l’énergie vendue par un incinérateur est considérée comme renouvelable, par la biomasse présente dans les OMR », autrement dit les biodéchets. Néanmoins la loi TECV impose un tri à la source des biodéchets d’ici 2025. La Métropole de Lyon, s’est, dans le même temps, engagée dans son Plan d’Action Economie Circulaire Zéro Gaspillage, à développer ce tri à la source d’ici 2023. Vis-à-vis de la Directive, si on ne retrouve plus de biomasse dans les OMR, nous assisterons à une perte du caractère renouvelable de l’énergie vendue, et ainsi, à une augmentation des taxes et des tarifs auprès des abonnés, mais aussi auprès des fournisseurs d’énergie.

L’incinération est-elle donc si durable que cela ? C’est sans compter tout ce qui ne part pas en fumée et qui a un coût environnemental, financier voire sanitaire non négligeable !

Les déchets qui entrent dans les incinérateurs ne partent pas tous en fumée !

La production de déchets solides en partie dangereux

Machefers

En effet, il serait incongru de penser que tous nos déchets dans notre poubelle noire partent en fumée. Durant le processus d’incinération plusieurs types de déchets, sont générés. Après être restés environ 2-3h dans le four, tous les déchets n’ont pas réussi à brûler complétement. Ces résidus sont appelés mâchefers. Ils représentent environ 20% du tonnage entrant et ont un coût important :

  Gerland Rillieux-la-Pape Total
Tonnage incinéré 2016 (t) : 250 830 145 714 396 544
Mâchefers totaux (t) : 43 753 27 820 71 573
% déchets entrants : 17,4% 19,1% 18,25 %
Coût total de gestion : 759 010€ 475 979€ 1 234 989 €

Tableau n°4 : Production de mâchefers des deux UTVE, source : rapport Barnier 2016

Ces déchets sont considérés comme des déchets non dangereux, et peuvent être utilisés en sous-couche routière, lorsque leurs caractéristiques physico-chimiques le permettent. Si ce n’est pas le cas, ils sont destinés à l’enfouissement en Installation de Stockage de Déchets Non Dangereux (ISDND). Les coûts présentés incluent le transport des mâchefers, les coûts de stockage (environ 70€/t) et les coûts de valorisation en sous-couche routière (environ 15€/t).

  Un autre processus lors de l’incinération génère des déchets : celui du passage des fumées dans l’électrofiltre. Ce système permet de capter les particules solides, dans les fumées, par séparation électrostatique. Les particules solides, appelées Résidus d’Epuration des Fumées d’Incinération des Ordures Ménagères (REFIOM), se retrouvent ainsi dans le silo. Il est à noter que ces particules constituent des déchets dangereux car elles concentrent les polluants les plus dangereux des fumées d’incinération. Le tableau suivant présente les quantités collectées de REFIOM sur l’année 2016 :

  Gerland Rillieux-la-Pape Total
Tonnage incinéré 2016 (t) : 250 830 145 714 396 544
REFIOM totaux (t) : 4 296 2 581 6 877
% déchets entrants : 1,7% 1,8% 1,75%
Coût total de gestion : 815 000€ 594 324€ 1 409 324 €

Tableau n°5 : Production des REFIOM des deux UTVE, source : rapport Barnier 2016

Les REFIOM « valorisés » dans les anciennes mines de sel. (c) Déchets infos

Ces déchets, considérés comme déchets dangereux, sont par la suite enfouis dans des Installations de Stockage de Déchets Dangereux (ISDD). Le coût de gestion totale comprend donc le transport ainsi le que le coût de stockage, estimé à 270€/t. A noter que l’incinérateur de Gerland envoie une majeure partie de ses REFIOM en Allemagne, pour combler les mines de sel. Ce type de « valorisation » coûte 170€/t. Enfin, en termes de déchets solides, nous retrouvons également les gâteaux de filtration. Ce type de déchets se retrouvent en aval de la station d’épuration interne. Ces déchets, malgré leurs faibles quantités (0.2% du tonnage entrant), représentent un coût de gestion important puisqu’eux aussi, sont considérés comme déchets dangereux, qui sont par la suite enfouis dans le même type d’installations que les REFIOM.

En 2016, les dépenses de fonctionnement des deux incinérateurs s’élèvent à environ 40 millions d’euros.

Les rejets atmosphériques

Enfin, vous vous en doutiez, nous retrouvons lors du processus d’incinération des rejets atmosphériques. Le tableau suivant présente les tonnages de rejets atmosphériques, émis dans l’environnement :

  Gerland Rillieux-la-Pape Total
Tonnage incinéré 2016 (t) : 250 830 145 714 396 553
Masse totale sans CO2* (t) : 144 72 216
Masse totale avec CO2 (t) 227 060 121 888 348 948
% déchets entrants : 90,5% 83,6% 87.05 %
Coût total de gestion** : 796 638€ 455 104€ 1 224 742 €

Tableau n°6 : Emissions atmosphériques des deux UTVE, source : rapport Barnier 2016

*La masse totale sans CO2 équivaut aux éléments très polluants émis dans l’environnement, tels que l’Arsenic, le Cuivre, la Manganèse ou encore l’Oxyde d’Azote.
**Le coût total de gestion correspond à la redevance de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), à hauteur de 3€/t de déchets incinérés, en plus d’une TGAP spécifique à l’émission d’éléments très polluants.

Si on ajoute les pourcentages de déchets entrants par type de déchets générés, nous atteignons 110% du tonnage de déchet entrant ! Il faut également prendre en compte qu’un certain tonnage de matières secondaires (Acide chlorhydrique, Chaux, Soude) est ajouté dans le processus pour le traitement des fumées.

L’incinération réduit donc véritablement le volume de déchets, mais il ne faut certainement pas croire que ceux-ci disparaissent, comme le montrent les tableaux précédents. Les déchets une fois incinérés changent seulement d’état, et nous continuons à les rejeter dans l’environnement.

Pour en apprendre plus et en discuter ensemble, rendez-vous le jeudi 27 septembre à la Maison de l’Environnement (14 halle Tony Garnier).

Dans l’article 2/2 nous analysons les enjeux internes à la Métropole de Lyon en termes d’alimentation des réseaux de chaleur et les enjeux externes qui se caractérisent par l’atteinte des objectifs de réduction des déchets de la loi TECV. Enfin, nous présentons trois scenarii de futures productions de déchets envoyés en incinération à horizon 2030 pour étudier la possibilité de fermeture d’une ou x ligne(s) d’incinérateur dans les années à venir.

Sources :
Rapport Rapport annuel 2016 sur le prix et la qualité du service public de prévention et gestion des DMA dit « rapport Barnier »

Fiches des réseaux de chaleur de la Métropole de Lyon, ALEC

Plan Climat de la Métropole de Lyon

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3 commentaires sur « (1/2) Etat des lieux : l’incinération des déchets ménagers sur la Métropole de Lyon »

    1. Bonjour Xavier,
      Merci pour votre commentaire, les biodéchets alimentaires peuvent être ceux des ménages mais aussi des plus gros producteurs (restaurants, cantines..)

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