(2/2) L’incinération à Lyon : et demain ?

ville remplie de fumée

Dans l’article précédent, nous avons dressé le portrait des deux incinérateurs présents sur le territoire de la Métropole de Lyon. L’exploitation de ces deux installations était programmée jusqu’en 2024 mais il semblerait qu’elles soient prolongées jusqu’à 2027. Plusieurs options s’offrent à la Métropole quant à l’avenir des incinérateurs : les remettre à niveau en fonction des caractéristiques des déchets actuels ou construire une nouvelle usine ? S’engager dans une vraie politique de réduction des déchets pour sortir progressivement des dispositifs d’incinération des déchets ? Dans tous les cas, nous parlons de plusieurs millions d’euros. Plusieurs enjeux conditionnent les choix qu’il y a à faire et Zéro Déchet Lyon vous explique l’ensemble de ces enjeux.

Enjeux internes au fonctionnement lyonnais

Comme nous vous le disions dans l’article précédent, la Métropole de Lyon souhaite étendre les réseaux de chaleur sur son territoire et en augmenter la part d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, le mix énergétique d’énergies renouvelables sur les réseaux de chaleur de la Métropole est articulé tel quel :

Figure n°1 : Mix énergétique en EnR dans réseaux de chaleur de la Métropole de Lyon, Source : Plan Climat Energie Territorial 2015

Dans cette figure, nous observons que les UTVE couvrent 32% des besoins en énergie thermique du territoire, et que 45% de l’énergie est consommée par les bailleurs sociaux. D’où la volonté de maintien d’une énergie peu chère pour lutter contre la précarité énergétique. Dans son Plan Climat, la Métropole prévoit de raccorder d’ici 2020, 5 000 logements supplémentaires par an (construits avant 1975) et de raccorder 50% des logements sociaux et 50 000 logements neufs supplémentaires.

Les futures productions d’énergie sont envisagées comme il suit à horizon 2020 :

Figure n°2 : Mix énergétique en EnR dans réseaux de chaleur de la Métropole de Lyon horizon 2020, Source : Vision 2020 pour une agglomération sobre en carbone

En parallèle, la Métropole a un objectif d’atteinte des « 3×20 » du Paquet Climat-énergie, c’est à dire :
– atteindre 20% d’utilisation d’énergies renouvelables ;
– augmenter de 20% l’efficacité énergétique ;
– réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre.

L’augmentation de l’efficacité énergétique se traduit par l’isolation thermique et donc la rénovation énergétique des logements. La Métropole a pour objectif de rénover 1%/an de son parc de logements, soit environ 12 000 logements par an, pour une destruction du parc ancien de 0,3% par an (1 500 logements).

La Métropole prévoit d’utiliser l’énergie provenant de l’incinération des déchets pour atteindre le minimum d’utilisation de 20% d’énergies renouvelables. Cependant deux enjeux techniques résident dans la poursuite de cette pratique :

  • les vides de fours. Un vide de four se définit par un four qui ne fonctionne pas à plein régime par manque d’apport en matière première. Les capacités totales d’incinération à Lyon sont de 430 000 tonnes alors que le tonnage incinéré a été de 396 000 tonnes. L’incinérateur de Gerland a connu un vide de fours de 30 000 tonnes tandis que celui de Rillieux-la-Pape de 5 000 tonnes. Cette différence s’explique par les contrats passés avec SUEZ Environnement (exploitant de l’incinérateur de Rillieux-la-Pape). En effet, les contrats mentionnent un apport régulier et d’un tonnage minimum de déchets à incinérer de 145 000 tonnes. De telles clauses ne permettent absolument pas de s’inscrire dans une démarche globale de réduction des déchets.
  • le Pouvoir Calorifique Inférieur (PCI) des fours d’incinération. Le PCI équivaut à la quantité de chaleur libérée pendant la combustion par unité de masse. Ces fours ont été construits dans les années 1990 avec un PCI maximal de fonctionnement, en l’occurrence 2 200 kWh/t. Or actuellement, le PCI atteint son maximum dans les fours d’incinération de la Métropole, avec la présence des biodéchets. Les biodéchets sont composés à environ 80% d’eau et constituent entre 15-20% du tonnage totale incinéré. Ils ont également aujourd’hui la capacité de réguler la température dans les fours car ils libèrent très peu de chaleur lors de leur combustion. Ces biodéchets constituent un véritable enjeu sur la Métropole car la loi TECV prévoit d’ici 2025, voire 2023 selon les engagements de la Métropole, de proposer un tri à la source des biodéchets pour chaque citoyen. Cependant, si une majeure partie de ce tonnage de biodéchets est capté avant l’incinération, le PCI dans les fours va dangereusement augmenter. Ainsi, les fours de la Métropole ne seront plus calibrés pour assurer l’incinération de cette nouvelle nature de déchets, à haut PCI.

Au-delà de ces enjeux propres au fonctionnement actuel des incinérateurs et des ambitions « Climat » de la Métropole, des enjeux extérieurs à la Métropole viennent s’ajouter dans les choix à faire.

Enjeux extérieurs à la Métropole

Ce que nous nommons enjeux extérieurs sont principalement les récents objectifs et lois européens et nationaux que la Métropole doit prendre en compte dans sa politique Déchets. Faire appliquer la législation pour atteindre ces objectifs aura (et a déjà) comme conséquence principale de faire évoluer la nature de nos OMR.

La loi de Transition énergétique a pour objectif de mettre en place une solution de valorisation des biodéchets pour l’ensemble des citoyens. Même si 100% des biodéchets lyonnais ne seront pas triés à la source, nous assisterons tout de même à une forte diminution de ce gisement dans les déchets envoyés en incinération. La Métropole s’est engagée à développer le tri à la source des biodéchets d’ici 2023.

Cette même loi prévoit aussi de diminuer de 10% (par rapport à 2010) le gisement des Déchets Ménagers et Assimilés (DMA) à horizon 2020. Ces DMA se définissent par tous les déchets ménagers (OMR, Collecte sélective, Verre, Déchèterie) et aussi tous les déchets générés par les petits commerçants, collectés par le service public. Cet objectif, comprenant les OMR, aura pour particularité de faire baisser le flux de déchets entrant en incinération.

L’extension des consignes de tri est également un point clé de la loi TECV. Celle-ci permettra de mettre dans le bac jaune davantage d’emballages (plastiques souples, etc). La Métropole s’est fixée de mettre en place l’extension des consignes de tri en 2020, sous réserve d’être retenue par l’éco-oragnisme Citéo dans les appels à projets « extensions des consignes de tri » pour financement. En moyenne, un Lyonnais mettrait 6 kg de plus de déchets dans le bac jaune, et donc en enleverait autant de la poubelle grise. Cette extension va par conséquence faire diminuer les tonnages envoyés en incinération puisqu’ils seront dirigées vers les centres de tri.

Enfin, cette loi ambitionne de diminuer l’enfouissement de déchets non dangereux de 30% (par rapport à 2010) en 2020 et de 50% en 2025. Les flux détournés de l’enfouissement seront très certainement redirigés vers la valorisation matière et …l’incinération.

Du fait de ces différents éléments, plusieurs scenarii peuvent être faits sur le type et la quantité de déchets qui seront envoyés dans les incinérateurs de Lyon à l’avenir..et donc de modéliser à quel point on aura besoin ou non de lignes d’incinération.

Scenarii de productions de déchets envoyées en incinération et propositions de Zéro Déchet Lyon

Nous réalisons ici des scenarii de production de déchets envoyés en incinération à horizon 2030, afin d’étudier la possibilité de fermer 1 ou x ligne(s) d’incinération à différentes échelles, dans le cadre de la fin de vie des incinérateurs et des différents objectifs de réduction des déchets. Trois scenarii ont été projetés selon un pourcentage d’atteinte des différents objectifs de la loi TECV : 50%, 70% et 100% d’atteinte des objectifs. Les paramètres suivants ont été pris en compte :

  • Evolution démographique (+ 1%/an selon source INSEE)
  • Tendances observées depuis 2010 de réduction des tonnages (-0,2%/an selon source Rapport Barnier)
  • Extension des consignes de tri (selon entretien avec Responsable des opérations Citéo)
  • Tri à la source des biodéchets (selon objectif de la loi de Transition énergétique)
  • Réduction des tonnages envoyés en enfouissement et donc redirigés vers incinération (selon objectif de la loi de Transition énergétique)
  • Déchets annexes envoyés en incinération (Déchets de nettoyage de rue, Déchets des collectivités extérieures, DAE, … : base 2016 retranscrite jusqu’en 2030 du fait du peu d’information d’évolution de ces tonnages)
  • Pourcentage de réussite d’atteinte des objectifs de la loi de Transition énergétique

Scénario 1 : 50% d’atteinte des objectifs de la loi TECV

Figure n°2 : Scénario 1 : Future production de déchets envoyés en incinération avec 50% d’atteinte des objectifs de la loi TECV, Source : M.Picard, 2018

Avec ce scénario, il serait possible de se passer d’une ligne d’incinération d’ici 2023. Seulement les contraintes techniques des incinérateurs nécessitent de conserver une ligne d’incinération en cas de secours, pour éviter de délester dans d’autres installations. Ce scénario ferait conserver quatre lignes d’incinération en fonctionnement permanent, mais avec vides de fours d’environ 70 000 tonnes jusqu’à 2030.

 Scénario 2 : 70% d’atteinte des objectifs de la loi TECV

Figure n°3 : Scénario 2 : Future production de déchets envoyés en incinération avec 70% d’atteinte des objectifs de la loi TECV, Source : M.Picard, 2018

Avec 70% d’atteinte des objectifs de la loi TECV, il serait possible de se passer d’une ligne d’incinération en 2023. Cependant, tout comme le scénario 1, il serait nécessaire de garder cette ligne en cas de secours. Pour ce scénario, le vide de fours s’estime à 90 000 tonnes, pour un fonctionnement permanent de 4 lignes de fours.

Scénario 3 : 100% d’atteinte des objectifs de la loi TECV

Figure n°3 : Scénario 3 : Future production de déchets envoyés en incinération avec 100% d’atteinte des objectifs de la loi TECV, Source : M.Picard, 2018

Dans ce scénario d’atteinte à 100% des objectifs de la loi TECV, il est possible de se passer de deux lignes d’incinération, dont une définitivement. Ce scénario permettrait en outre d’utiliser les trois lignes d’incinération en fonctionnement permanent, à plein régime, sans vide de fours. Ce scénario ambitieux est celui que nous retenons afin d’entrer dans une véritable réduction des déchets et une transition énergétique. En effet, la Métropole prévoit dans ses scénarios de Plan Climat de créer des chaufferies bois (20 MW sur Rillieux-la-Pape et 50 MW sur Lyon-Villeurbanne) qui permettraient de combler la fermeture d’une ligne d’incinération.

D’un point de vue technique, et pour palier à l’augmentation drastique du PCI dû au changement de la nature des OMR, nous avons établi un scénario technique de régulation du PCI. Celui-ci consisterait à réutiliser l’eau des systèmes d’épuration des fumées, après passage dans la station d’épuration interne, pour la pulvériser sur les déchets dans la chaîne d’alimentation des fours, tel que le montre le schéma suivant :

Figure n°4 : Scénario de pulvérisation d’eau des systèmes de traitement de fumées pour maintenir le PCI, Source : M.Picard, 2018

Dans ce scénario, si nous retirons à 100% la fraction des biodéchets dans les OMR, il convient de pulvériser les déchets à même débit que la fréquence de présence des biodéchets dans les OMR. Soit pour l’incinérateur de Gerland, une pulvérisation de 3 030 L/h et pour l’incinérateur de Rillieux-la-Pape, une pulvérisation de 2 805 L/h. Ces pulvérisations représentent un volume annuel pour Rillieux-la-Pape et Gerland, respectivement de 42 922 m3 et 73 752 m3, ce qui représente 30% de leur consommation d’eau.

Pour en apprendre plus et en discuter ensemble, rendez-vous le jeudi 27 septembre à la Maison de l’Environnement (14 halle Tony Garnier).

Sources :
(1) Plan Climat, Point d’étape 2015
(2) Vision 2020 pour une agglomération sobre en carbone

Voir tous nos plaidoyers

Un commentaire sur « (2/2) L’incinération à Lyon : et demain ? »

Laisser un commentaire