Vers la fin des commerces du vrac, ces acteur·rices indispensables de la réduction des déchets de notre quotidien ?

Le contexte

Depuis 2020, des commerces de vente de produits en vrac, en particulier les commerces indépendants,  font face à de grandes difficultés financières.

Plus d’une douzaine ont cessé leur activité sur la métropole de Lyon depuis 2020, chiffre très conséquent compte-tenu du petit nombre de commerces indépendants installés au total (une trentaine). Phénomène d’autant plus incohérent quand 60 % des Français ont conscience de l’urgence d’agir pour le climat, qu’iels sont même 92 % à savoir qu’il leur faudra modifier leurs modes de vie pour réduire leur impact (source CESE 2023).

Pourtant ces pratiques s’ancrent dans les changements de comportement à adopter compte-tenu des enjeux écologiques actuels et à venir. L’ADEME estime que ces achats en vrac peuvent permettre « de réduire la masse de déchets d’emballages d’au moins 2/3, sur toute la chaîne de distribution ».

Face à ce constat alarmant, une équipe de bénévoles de l’association Zéro Déchet Lyon a enquêté auprès de 8 de ces magasins de vente en vrac indépendants volontaires afin d’identifier les difficultés/freins communs et leviers possibles à travers un questionnaire. L’équipe plaidoyer a également mené des recherches complémentaires pour proposer des pistes de soutiens et de travail collaboratif. Ces résultats ont été envoyés cet été aux élu·es de la Métropole en invitant à entamer rapidement un travail collectif.

Les constats

Les commerces de vente de produits en vrac jouent un rôle important dans l’économie locale et représentent surtout l’accès premier au quotidien d’une démarche de transition par le « zéro déchet » pour les citoyen·nes. D’après une étude commandée par la DGCCRF en 2021, 57% des français et françaises achètent en vrac pour « utiliser moins d’emballages (57 %) » et 53% pour « avoir juste la quantité dont ils ont besoin ».

Les rôles décisifs identifiés :  

  • Favorisent l’approvisionnement en produits frais, locaux et souvent en production biologique et en circuits courts,
  • Constituent des points de collecte incontournables pour les emballages consignés,
  • Animent et tissent un fort lien social avec les habitant·es et leur quartier,
  • Participent à la baisse de production de déchets et au changement de comportement en faveur de la transition écologique,
  • Se distinguent par leurs engagements à réduire la production de déchets dont les emballages et à offrir une sélection de produits qualitatifs pour démocratiser l’accès à une alimentation saine et durable,
  • Représentent aussi des prestataires importants et uniques également pour les associations, structures professionnelles et entreprises locales en transition. 
L’épicerie Tout part en vrac à Saint-Genis-Laval

 

Des conséquences collatérales sur l’économie locale

Sans les commerces vrac indépendants, c’est donc 32% des points de collecte de bouteilles consignées de Rebooteille qui risquent de disparaître dans moins de cinq ans sur la métropole lyonnaise. La consigne des bouteilles et bientôt des bocaux a besoin de ces commerces pour exister. Cela permettrait aux commerces de vrac de maintenir leurs activités tout en offrant des produits à des prix compétitifs.

 

Les raisons de cette crise sont multiples mais les plus identifiées sont la baisse sensible de fréquentation de ces commerces et le coût élevé des locaux et charges.

L’enquête menée a révélé 2 constats essentiels :

  1. Le soutien de tiers comme déterminant pour la réussite de l’installation du magasin. L’association Rhône Développement Initiative et le Réseau Vrac et Réemploi notamment parmi les plus cités.
  2. Une baisse significative de leur fréquentation subie depuis 2021 : pendant la période de la pandémie de Covid-19, ces commerces ont été essentiels de par leur achalandage local peu impacté par l’arrêt du commerce international, ce qui a entraîné une augmentation de leur activité. Mais depuis, l’essor du e-commerce et des livraisons à bas coût représentent la concurrence principale, au détriment de la qualité des produits et de modèles socio-économiques plus justes et locaux.

Depuis 2021, une baisse significative de leur fréquentation attribuée à plusieurs facteurs dont :

  • La concurrence accrue de la livraison à domicile (tant des grandes surfaces que de nouvelles enseignes exclusivement en ligne),
  • La crise générale de l’agriculture biologique, et
  • L‘inflation.

Des perspectives d’évolution très limitées dès leur phase d’installation (si elle a lieu):

  • des obstacles bancaires, car il y a de grandes difficultés à trouver des banques pour des emprunts lors des montages des projets,
  • des obstacles fonciers à doubles freins:
    • Lors de la phase de montage du projet : les commerces ont évoqué des difficultés énormes face à la pression foncière à pouvoir louer un local intéressant. Les porteur·ses de projet se voient contraint·es de louer des locaux petits voir mal situés ce qui compromet la visibilité et la croissance de leur clientèle une fois installé·es.
    • Des freins dans les perspectives d’évolution :  Les porteurs de projet sont ainsi contraint·es de locaux de « second choix » présentant des petites tailles, limitant ainsi la quantité et la variété de produits pouvant être proposés à la vente, rendant ainsi impossible toute perspective de concurrence pouvant approcher les offres de supérette et supermarchés pour embarquer des client·es moins « militant·es ».
    • Malgré des lois et politiques locales se dirigeant vers des objectifs de réduction des déchets et de réemploi, peu voire pas de soutien ni du promotion de ces alternatives et de leurs bénéfices auprès du grand public de la part des institutions notamment locales.

Cependant, ces derniers mois, on observe une stabilisation de la fréquentation et des chiffres d’affaires encore faibles mais qui pourraient se stabiliser, bien que la rémunération des employé·es (dont 80% sont aussi les fondateur·rices et gérant·es) reste souvent très basse voire inexistante.

Quelles politiques publiques pour agir ?

Le soutien aux commerces de vrac s’inscrit pleinement dans plusieurs politiques publiques actuellement déployées par la Métropole de Lyon. Que ce soit le Schéma Directeur Déchet (SDD 2030), le Programme Local de Prévention des Déchets Ménagers et Assimilés (PLPDMA), Le Rapport Transition & Résilience de la Métropole de Lyon de 2023, le Contrat de ville 2024-2030 de la Métropole de Lyon, Le Projet Alimentaire du Territoire Lyonnais – PATLy, et bien d’autres encore. Le constat de ces nombreuses et variées politiques publiques légitime d’autant plus la mise en place d’actions de soutien pour leur maintien et leur développement.

Contenant le Plan Zéro Plastiques à voter en septembre prochain et le Contrat d'Objectifs pour la Réduction des Déchets et le Développement de l'Economie Circulaire - CODEC), regroupent plusieurs objectifs pour animer et mobiliser les acteurs locaux, développer l’économie circulaire sur le territoire par la mise en œuvre d’actions de réduction des déchets et d’économie de la ressource et pour identifier et suivre les impacts environnementaux, économiques et sociaux. Le PLPDMA oriente principalement son Axe 7 autour de ces enjeux d’emballages et de changement de pratiques de consommation : Axe 7 « promouvoir l’éco-consommation », dont l’Action 7.1. Promouvoir les achats malins et les emballages réutilisables et consignés.

définissent des objectifs auprès des entreprises du territoire (TPE/PME, groupements et collectifs ou MPE et ETI) via notamment des appels à projet, portant sur des accompagnements sur la sobriété et la circularité, sur la transformation durable vers des sociétés à missions, sur leur politiques d’achats responsables et leur prestataires, dans leurs transformations.

(en application de l’article L3661-2 du CGCT), mentionne un volet visant à  « soutenir l’économie de proximité, avec 2,5 millions d’euros de la PPI dédiés à l’implantation et au soutien de commerces des centre-bourgs ».

qui complète la convention des Maires pour l’énergie et le climat, en enjoignant les collectivités européennes à fixer des objectifs allant au-delà des exigences réglementaires fixées par l’Union européenne dans cinq domaines d’intervention d’ici à 2030 : nature et biodiversité, économie circulaire et déchets, air, eau, bruit.

qui vise à ce que les acteurs publics et privés se réinvente autour de trois axes de coopération, notamment afin d’ « Augmenter l’impact territorial en cartographiant les gisements de fonciers valorisables, reconstituer des stocks fonciers, repenser l’offre d’accueil ».

qui prévoit notamment d’amplifier l’émergence d’activités utiles socialement et environnementalement telles que la réparation et le réemploi.

inclut plusieurs enjeux afin de croiser les sujets et les engagements. Il a comme but d’agir pour les quartiers et avec leurs habitants pour les quartiers dits prioritaires. L’objectif fixé par la loi est d’assurer l’égalité entre les territoires et d’améliorer les conditions de vie. Outre les objectifs d’information incitative sur le volet « déchets », le contrat inclut aussi le « mieux manger pour tous ».

pour la période 2023-2029. Ce PAEC doit permettre d’accélérer la transition des exploitations agricoles locales, de protéger la biodiversité et de préserver la ressource en eau.

a pour ambition de permettre l’accès de tous à une alimentation de qualité en agissant principalement sur deux leviers : la relocalisation de la production avec un objectif de 15 % d’autonomie alimentaire, en réorientant vers la demande locale les productions agricoles actuellement exportées et en développant de nouvelles capacités de production et de transformation ; et la justice alimentaire en améliorant l’accès à une alimentation de qualité et en luttant contre les inégalités structurelles.

Pistes de leviers et modalités de soutiens

L’enquête dégage 6 pistes de leviers ou modalités de soutiens :

  1. Un soutien technique et coopératif innovant en travaillant par le prisme de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération
  2. Un soutien financier pour ces commerces qui proposent des services d’intérêts généraux
  3. Une anticipation foncière et urbaine pour encourager et impulser l’ouverture de nouveaux commerces lors de projets immobiliers de construction ou rénovation, en pensant des locaux adaptés et abordables
  4. Un accompagnement au changement des citoyen·nes par de la communication, et de la sensibilisation par l’encouragement des habitant·es aux enjeux écologiques à franchir le seuil des commerces
  5. Une collaboration entre délégations internes institutionnelles en pensant ces modalités de soutien entre les multiples délégations concernées : économie, alimentation, déchets, santé, climat, transition
  6. Une collaboration avec les acteurs locaux en encourageant et facilitant les partenariats avec les entreprises locales pour favoriser l’approvisionnement en produits locaux et durables en contenants consignés, réutilisables.

En conclusion

Les enjeux sont clairs : sans un soutien immédiat et adapté, les commerces de vrac risquent de disparaître, emportant avec eux des solutions essentielles pour une société plus durable et laissant le champ libre à l’agro-alimentaire.

La mobilisation de tous les acteurs – citoyens, collectivités, entreprises – est nécessaire pour garantir la survie de ces commerces et pour continuer à avancer vers un futur respectant nos ressources naturelles. La Métropole de Lyon – porteuse des compétences de prévention et gestion des déchets – et ses 58 communes ont un rôle déterminant à jouer, des intérêts multiples à soutenir ces commerces de vrac en difficulté et des leviers politiques auxquels leur ouvrir l’accès.

Ces soutiens peuvent prendre des formes différentes et contribuer à la création et la pérennisation d’une économie plus locale, durable et coopérative. La Métropole de Lyon pourrait aussi s’appuyer sur ces acteurs locaux pour avancer sur ses propres et nombreux objectifs de plusieurs politiques publiques en les soutenant en retour: nous pensons que des pistes sérieuses de soutien sont à étudier par le prisme de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération.

Nous attendons maintenant les retours des délégations de la Métropole concernées pour lancer un travail collectif de réflexion et de solutions envisageables. En attendant, soutenez ces commerces, passer leur pas de porte, découvrez les bénéfices et bienfaits de s’alimenter et s’approvisionner en vrac grâce à notre cartographie nationale zéro déchet. Retrouvez les produits vendus en vrac prêt de chez vous avec notre moteur de rechercher Abracada’vrac.

N’hésitez pas à partager cet article et à nous faire part de vos commentaires !

Notes

Nous tenons à remercier  les commerces de vrac indépendants qui nous ont accordés de leur précieux temps: Eldorad’OZ (Lyon 9) ; 3 p’tits pois (Lyon 7), Maison Courgette (Lyon 4), l’épicerie L’Essentielle (Lyon 3), La P’tit distrib (Lyon 7), Mademoiselle Vrac (Lyon 9) et Vrac en Vill’ (Villeurbanne) ainsi que des partenaires tels que l’association Anciela pour leurs contributions d’expériences et Rebooteille pour leurs données.

2 commentaires sur « Vers la fin des commerces du vrac, ces acteur·rices indispensables de la réduction des déchets de notre quotidien ? »

  1. Bravo et merci ! C’est toujours un plaisir de lire vos plaidoyers. Maintenant, je vais regarder « Sur le front ». Cela m’aidera à paufiner mon argumentaire.

    1. Bonjour, merci pour ce retour positif, de quoi nous donner plein d’énergie pour continuer!
      Si vous souhaitez vous former plus sur le sujet et nous aider à pouvoir proposer plus de ce type de travaux, n’hésitez pas à nous rejoindre ! Nous organisons une soirée de rentrée de l’association le 17 octobre prochain, nous pourrons échanger avec plaisir et vous présenter notre programme de formations pour nos bénévoles comprenant notamment deux modules sur le plaidoyer : avec des deux modules vous repartez avec le plein d’arguments.
      https://www.helloasso.com/associations/zero-dechet-lyon/evenements/fete-de-rentree-zero-dechet-lyon
      A bientôt !

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