Lorsqu’on dit “déchets”, on pense toujours à ces objets en fin de vie, inutiles, délaissés, qui vont rejoindre nos poubelles : épluchures, téléphones cassés, jeans troués … Ce sont tous ces biens dont on veut se débarrasser, qui ne nous intéressent plus ; et que nous voulons vite voir disparaître, une fois jetés. C’est en tout cas comme tels que la loi les définis [1]. Pourtant, tous les déchets sont-ils aussi visibles ? Tous les déchets que nous produisons se retrouvent-ils dans nos poubelles ? La loi est un peu plus précise et parle de « résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation » Ainsi, des déchets, on en retrouve tout au long du cycle de vie d’un objet : extraction des matières premières nécessaires, production, transport, utilisation, recyclage, fin de vie, autant d’étapes qui sont génératrices de déchets. En fait, un déchet en cache un autre, ou plutôt … des centaines d’autres ! Alors, produisons-nous des déchets sans même nous en rendre compte ?
Déchets : la partie immergée de l’iceberg
Un déchet produit lors de la consommation cache en vérité une montagne de déchets. D’ailleurs, le Wuppertal Institut Für Klima, Umwelt, Energie nous affirme qu’un jean pèse en réalité … 30 kg ! Mais, qu’est-ce qui pèse à ce point dans la balance ?
En fait, on peut multiplier par 10, 20, 30 ou 100 le poids d’un objet qui est acheté puis jeté. Pour le comprendre, il faut s’intéresser à son cycle de vie global [2], qui comprend l’extraction des matières premières nécessaires pour fabriquer les objets, leur production, leur utilisation puis leur fin de vie (où ils sont jetés, recyclés, incinérés ou enfouis …). Et des déchets sont produits à chacune des étapes de ce cycle ! Donc, en réalité, 500 kg de déchets ménagers représente 3 500 kg de déchets industriels et 16 000 kg de matières premières extraites [3]…
Ainsi, pour produire une brosse à dent, par exemple, il faudra tout d’abord extraire du pétrole, afin de fabriquer les granulats de plastique du manche et des poils en nylon : cette extraction entraînera des rejets (gaz à effets de serre, gravats, … qui sont autant de déchets). Ensuite, il faudra mouler la matière, ce qui créera encore de nouveaux résidus. Puis viendra le conditionnement et le transport des palettes emballées dans des films plastiques qui ne servirons qu’une seule fois, puisqu’ils seront inutilisables après déconditionnement et mise en rayon… Une fois achetée, nous jetterons également la boîte dans laquelle elle se trouvait, avant de se débarrasser de la brosse à dent elle-même, après quelques semaines d’utilisation. Jeter cette brosse à dent de 50 grammes revient en réalité à jeter 1,5 kg de matière première et de ressources naturelles.
Chaque étape du cycle de vie d’un bien a ainsi un impact sur l’environnement et produit des déchets. C’est ce qu’on appelle le “sac à dos écologique” des objets. Cette image a été pensée par le chercheur allemand Friedrich Schmidt-Bleek : chaque objet porte derrière lui tout le poids des ressources qu’il a fallu utiliser pour le fabriquer et le vendre. Ce “sac à dos écologique” représente, en kilos et en tonnes, le poids des ressources qui ont été nécessaires tout au long de son cycle de vie : il est calculé en tonnes de ressources par tonnes de produits et s’appuie sur l’indicateur MIPS (Matières Indispensables par Unités de Service) [4].
Cet indicateur permet de quantifier, pour une tonne matière première, les différents apports en ressources nécessaires pour la produire. Il prend en compte la vie d’un produit au complet car l’impact le plus important se trouve souvent au début du processus, durant l’extraction des ressources et la fabrication. Il tient compte de 5 catégories de ressources naturelles [5] :
- Les ressources non renouvelables : matières premières minérales (minerais, sables) et combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) utilisés
- Les ressources renouvelables : le bois par exemple
- Le déplacement du sol (érosion, labourage)
- La consommation d’eau
- La consommation d’air
Et si une brosse à dent représente 1,5 kg de déchets, la multiplication est parfois bien plus vertigineuse : un téléphone portable représente en réalité 75 kg de déchets, une voiture ne pèse pas 1 mais bien 70 tonnes ! Et ces déchets, même s’ils sont invisibles aux yeux de ceux qui les consomment, sont bien réels.
Ainsi, ce “sac à dos écologique” pose la même question que l’empreinte carbone d’un objet, mais en termes de consommation de ressources et de matières premières : quel est le véritable impact de nos objets du quotidien ?
Produire autrement ?
Il faut donc complètement transformer notre manière de produire, afin d’agir sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit et de réduire les impacts que peuvent avoir ces “déchets cachés”. Frederik Schmidt-Bleek affirme, en effet, dans les années 1990, qu’il faut diviser notre consommation de ressources et de matières premières au moins par 10, compte tenu de notre extraction actuelle. Quoi de mieux pour cela de réduire les déchets qui sont créés lors de la phase de “production” ?
Pour réduire l’utilisation de ces ressources, on peut tout simplement … Produire moins.
C’est le choix qu’ont fait certaines entreprises et initiatives ! Elles décident, par exemple, de remplacer la surproduction d’objets par la proposition d’un service, qui remplit les mêmes fonctions mais limite l’extraction de matières premières. C’est ce qu’on appelle l’économie de fonctionnalité, qui vend l’usage d’un bien et non le bien lui-même.
L’entreprise Xerox, par exemple, ne vend plus des imprimantes mais vend l’usage de la machine c’est-à-dire l’impression, elle permet à ses clients de pouvoir imprimer, sans qu’il leur soit nécessaire de posséder une imprimante.
À Paris, la boutique E-Loue Express [6] propose tout un ensemble d’objets (des enceintes, des poussettes, des tentes de camping) libres à la location ! Ce sont tous ces objets dont on n’a besoin qu’une fois dans l’année, qu’on achète et qui dorment ensuite dans nos placards … Afin de limiter la surproduction de ces objets “inutiles”, E-Loue Express propose de n’en avoir que l’usage.
À Lyon, n’hésitez pas à vous rendre sur Proxiigen [7], qui permet l’entraide, les échanges et les prêts d’objets entre voisins : à quoi bon acheter ce qu’on n’a pas besoin de posséder ?
Mais, on peut aussi limiter l’usage des ressources nécessaires à la production des objets.
L’éco-conception [8] a, en effet, pour objectif d’utiliser moins de ressources pour fabriquer un produit, sur toute la durée de son cycle de vie. Elle privilégiera des matériaux qu’il est possible de réutiliser ou de recycler (le verre par exemple). Elle remplacera des matières qui nécessitent des ressources non renouvelables (le plastique par exemple) par des matières renouvelables (le bois). Elle choisira des procédés de fabrications qui consomment moins de ressources (énergie, eau et matières premières). Elle s’intéressera au “packaging” de l’objet, ses emballages, afin de les réduire ou de le faire disparaître et aux temps de transport afin de les réduire au maximum. Elle fera en sorte que le produit soit conçu pour être réparé.
Ainsi, Fairphone propose des téléphones portables qui sont construits à partir de ressources moins dangereuses pour l’environnement et qui maximisent l’utilisation de matières recyclées et recyclables. L’entreprise permet surtout la durabilité de son produit en le rendant presque entièrement réparable : le téléphone Fairphone est conçu avec un ensemble de modules, qui peuvent se retirer et se remplacer et il peut même être loué ! [9]… Bien loin des problématiques d’obsolescence programmée et de tous ces objets conçus pour ne pas durer ! [10]
Toutes ces démarches d’éco-conception et de réparabilité sont d’autant plus importantes que le sac à dos écologique des objets numériques pèsent lourd, très lourd … En fait, un ordinateur pèse en réalité 1,5 tonnes ! Alors, toujours aussi léger à transporter ?
Consommer autrement ?
Les démarches d’éco-conception et d’économie de fonctionnalité, c’est bien, mais qu’est-ce qu’on peut faire, nous, en tant que consommateurs ?
Si chaque produit que nous jetons a un impact bien plus important que ce que nous avions imaginé, chaque déchet que nous ne produisons pas multiplie l’impact positif que nous aurons sur notre environnement. Si, par exemple, nous choisissons de ne pas acheter une brosse à dent jetable, mais de privilégier une brosse à dent dont nous n’avons que l’embout à changer, ce n’est pas 50 grammes de déchets que nous évitons, mais bien 1,5 kg !
Chacun d’entre nous peut alors privilégier des produits durables et refuser les produits jetables : couches et mouchoirs en tissus, gourdes, sacs à vrac pour éviter les équivalents en plastique… Vous pouvez trouver toutes les astuces zéro déchet dans le Guide proposé par Zéro Déchet Lyon ! D’ailleurs, sur la métropole, il existe de nombreux commerçants qui proposent des produits en vrac, ils sont référencés dans le guide Objectif Zéro Déchet et bientôt avec l’application Abracada’Vrac.
Plutôt que d’acheter des produits neufs, privilégions plutôt les objets de seconde main. Il existe, sur la Métropole de Lyon, de nombreux endroits où donner une seconde vie à ses objets du quotidien : Emmaüs, Notre-Dame -Des-Sans-Abris … Autant de boutiques qui nous permettent de limiter notre sac-à-dos écologique !
Avant de jeter nos vieux objets, autant les réparer ou les réutiliser ! L’atelier soudé, sur Lyon, est spécialiste de l’auto-réparation des objets numériques : ordinateurs, imprimantes, portables … Et il existe de nombreux ateliers d’auto-réparation pour vélos, comme le Cyclub à Villeurbanne, Change de Chaîne dans le 9ème arrondissement ou le Chat Perché dans le 7ème. Ces lieux nous permettent à la fois d’apprendre à reprendre la main sur nos objets du quotidien mais aussi de partager et d’échanger.
Alors maintenant que vous ne regarder plus votre brosse à dent du même œil, ouvrez-le vous verrez que vous avez des options à votre portée pour beaucoup d’objet du quotidien…
SOURCES
[1] Selon le Code de l’Environnement (art. L541-1), un déchet est « tout résidu […] que son détenteur destine à l’abandon ».
[2] http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/analyse-du-cycle-de-vie/
[3] http://www.sibrecsa.fr/prevention-et-reutilisation/les-dechets-caches
[4] https://wupperinst.org : Le MIPS (Material Input Per Unit of Service) a été développé originellement par l’institut Wuppertal dans les années 1990.
[5] http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/strategie-du-facteur-10-et-sac-a-dos-ecologique/
[6] https://express.e-loue.com/
[8] http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/eco-conception/
[10] https://www.consoglobe.com/obsolescence-programmee-appareils-cg
Bravo pour vos articles et un grand merci à tous ceux qui y contribuent. Cela nous donne des arguments lors de nos discussions entre amis, collègues, voisins…